Mme H***
habitait dans la même résidence que mes parents, entre la ligne du RER A et le
bois de Vincennes. Métisse, divorcée, elle vivait seule (son fils et sa fille
qui vivaient aux Antilles venaient la voir deux fois par ans). Elle exerçait,
si mes souvenirs sont exacts, des fonctions au siège social d’une grande
compagnie d’assurances. Un soir qu’elle rentrait tard après une réunion, elle
avait été victime d’une agression sur le court trajet qui sépare la gare de RER
la plus proche de la résidence (c’était avant notre emménagement) ; à la
suite de cela, elle s’était inscrite dans un club de sport où elle pratiquait,
je crois, aïkido et musculation : c’était une chose assez rare pour une
femme de son âge, d’autant que son style vestimentaire correspondait davantage
à sa profession qu’à ses activités sportives. Un soir (je devais avoir dix-huit
ou dix-neuf ans), mes parents et moi lui avions rendu visite ; à un
moment, me voyant sans doute à l’écart de la conversation, elle m’avait interrogé
sur mes centres d’intérêt : je lui avais parlé du livre que j’étais en train
de lire, le dernier Kundera : Les
Testaments trahis.
L’année
suivante, je quittai l’appartement de mes parents pour un minuscule studio à
Paris. Il ne me semble l’avoir jamais recroisée lorsque je repassais ensuite
chez mes parents. C’est il y a quatre ou cinq ans que mes parents m’ont appris
que Mme H***, jeune préretraitée, avait quitté la résidence pour aller vivre
aux Antilles auprès de ses enfants.
Bien qu’elle ressemblât
finalement assez peu à l’image de mon souvenir, la femme de mon rêve était Mme H***. En fait, en rêve, le
souvenir procède par allusions, associations d’idées autant que par mimesis : certes, il y avait bien
ce look « femme d’affaire », mais à la voir, on n’aurait peiné à
deviner que Mme H*** pratiquât le bodybuilding, et elle était d’une carnation
beaucoup plus claire que la femme de mon rêve : simplement, cette
complexion et ce corps de bodybuildeuse signifiaient « Antilles » et « musculation »
afin de désigner Mme H***. De même, le « scénario » de mon rêve,
cette histoire de manuscrit posthume, signifiaient ce livre de Kundera – qui fut
le sujet de la seule vraie conversation que j’aie jamais eu avec cette femme.
Reste bien sûr
à savoir pourquoi, cette nuit-là, mon inconscient m’a désigné cette femme-là,
que j’ai à peine connue. Peut-être cela a-t-il à voir avec cette réserve
sexuelle ? De fait, je n’ai jamais considéré Mme H*** comme un possible
objet de désir, quoi qu’elle fût objectivement belle et désirable : entraient
là sans doute à la fois son attitude de politesse aimable mais toujours
distante, l’idée d’une impossibilité a
priori tenant à la différence d’âge et à la proximité de mes parents et l’espèce
de crainte respectueuse qu’inspire une femme au passé manifestement douloureux
(divorce, agression…)
Je ne sais
cependant ce que, dans ce rêve, à travers le souvenir de Mme H***, mon
inconscient voulait me dire. Me signaler que cette femme était effectivement
désirable, me signifier qu’il m’aurait été possible de la désirer, m’enjoindre
de ne plus me laisser arrêter par ce qui, parfois, m’empêche d’exprimer un
désir ? Ou bien au contraire me dire qu’il est temps maintenant de tenir
le désir à plus de distance que je ne l’ai fait ces dernières années, de rechercher
avec les femmes des liens où entrerait plus de réserve ainsi que ce pouvait
être le cas lorsque j’étais plus jeune ? Même si les sens possible en sont
opposés, il est clair cependant que ce rêve méditait sur l’espèce de « retrait
charnel » dans lequel je vis (assez bien, au demeurant) depuis mon
expatriation.
P.S. : Il va de soi
que, comme dans tous les souvenirs que je livre ici, les traits biographiques
susceptibles d’identifier Mme H*** ont été modifiés, hormis ceux qui la
rattachent directement à mon rêve.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire