Joseph Wright
(dit Wright of Derby), 1734-1797, The
Corinthian Maid, 1784, huile sur toile, 106,3 x 130,8 cm, National Gallery
of Art, Washington
Nuit d’insomnie.
Assis à mon
bureau devant une feuille blanche, je me surprends à dessiner le contour de mon
profil, ombre projetée par la petite lampe à ma droite. Une idée vague :
ce geste me fait penser à un souvenir de lecture récent… Puis je me souviens :
c’est le mythe grec des origines de la peinture.
La Barque silencieuse de Pascal Quignard (Seuil, 2009) :
« La
fille d’un potier qui s’appelait Dibutadès vivait à Corinthe où elle aimait un
jeune homme qui était extrêmement beau. Il dut partir à la guerre. Lors de la
dernière nuit qu’ils passèrent ensemble elle ne l’étreignit pas. Elle ne l’embrassa
même pas. Elle éleva dans sa main gauche une lampe à huile. Elle prit dans sa main
droite une braise éteinte dans le brasero. Elle s’approcha de lui. Elle ne
caressa pas le volume de son corps qui pourtant marquait son désir. Avec le
morceau de charbon elle préféra délimiter le pourtour de son ombre sur la
surface du mur qui se dressait derrière lui. »
Joseph-Benoît
Suvée, 1743-1807, L’Invention de la
peinture, 1791, huile sur toile, 267 x 131,5 cm, Bruges, Groeninge Museum
C’est au
tournant des XVIIIe et XIXe siècles que le mythe de la
fille de Dibutadès semble préoccuper les peintres. J.-B. Regnault en fait en
1785 le sujet d’une toile qu’on peut voir au château de Versailles :
bizarrement, chez lui, la scène est diurne et en extérieur, à la Poussin. Plus
fidèles à la dimension nocturne du mythe, le tableau de l’Anglais Wright of
Derby en 1784 et celui du Flamand Suvée en 1791, dont les lignes néoclassiques
semblent réchauffées par les derniers feux du caravagisme. Et c’est Füssli,
autre néoclassique nocturne, qui, à Londres en 1801, consacre au mythe une
conférence.
Comme si, la
tension entre idéalisme néoclassique et réalisme caravagesque étant parvenue à
son exténuation, il fallait revenir à cette scène primitive et nocturne (aussi
bien, ce que raconte le mythe grec, c’est Lascaux, Altamira, la grotte Chauvet).
Penser aussi au basculement du Zeitgeist :
Wright of Derby, c’est le peintre des Lumières et de la Révolution industrielle
(Expérience de la pompe à air, Philosophe faisant une leçon sur leplanétaire) ; Füssli, c’est le premier romantisme noir et onirique, les
projections nocturnes de l’inconscient (Le Cauchemar) qui aboutiront, via Freud et Breton, à
Balthus, à Delvaux.
Merci pour ces archives, j'aime...
RépondreSupprimerJe vous en prie ; trop heureux que cela vous plaise...
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