samedi 7 juillet 2012

Souvenir II : La Vénus callipyge et le portrait du Fayoum


Portrait de femme, Fayoum (Egypte), v. 100-150 apr. J.C., peinture à l’encaustique sur panneau de cyprès, 43,18 x 21,59 cm, Milwaukee Art Museum

Je disais, lautre nuit, que seules quelques rares peintures m’évoquaient des personnes, des situations ou des atmosphères de ma vie (de ma vie « hors musées »). Qui me viennent immédiatement à l’esprit, outre le Balthus dont je parlais alors, il y a ce portrait du Fayoum que j’avais découvert au printemps 1997 lors de l’exposition Ancient Faces au British Museum.

Sa découverte avait même été pour moi une sorte de choc : ce portrait funéraire d’une Egyptienne du IIe s. reproduisait en effet quasi à l’identique les traits d’une jeune femme qui venait de rompre avec moi. Je lui avais aussitôt envoyé une reproduction du portrait ; elle m’avait répondu par une lettre où elle écrivait :

« C’est vrai, la ressemblance est incroyable même si pas trop flatteuse pour moi. […] Tu vas encore te moquer si je parle de “signes”, tant pis. Mais pour moi c’est un signe à propos de nous. Tu découvres mon portrait et c’est le masque d’une momie, c’est une belle façon pour le destin de dire que notre histoire est morte et enterrée non ? »

De fait, la lettre était postée de Lisbonne, où T***, portugaise par son père, venait de s’installer après avoir achevé ses études en France. Sans doute y vit-elle encore à présent.

T*** avait été avec moi en classe de la troisième à la terminale : adolescente sérieuse, même grave et sévère dans sa manière d’être, riant rarement et coupant court sèchement à toute tentative de flirt. Elle avait pourtant de quoi rendre fou – de quoi me rendre fou, du moins : il y avait déjà ses grands yeux presque à fleur de tête, d’un brun ourlé de noir et qui semblaient toujours humides, rehaussés encore par des cils de geai et des paupières toujours un peu cernées ; et puis surtout, il y avait cette chute de reins absolument prodigieuse, son buste gracile s’évasant brusquement en un cul plein, large, rond, violemment cambré et planté sur des cuisses musclées – un cul de Vénus callipyge (voire de Vénus hottentote: je n’en vis jamais d’approchant que chez certaines femmes d’origine africaine). 



Chute de rein, pensais-je à l’époque, qu’elle protégeait de nos regards concupiscents en ne portant jamais que des vêtements larges et sombres. En fait, m’apprit-elle, lorsque je le rencontrai par hasard, quelques années plus tard (elle suivait des études de droit communautaire européen), T*** était dans son adolescence persuadée que cette particularité physique ne pouvait que la faire juger repoussante, « maigrichonne à gros cul », selon ses propres termes : je lui avouai combien, au contraire, sa spectaculaire chute de reins avait cristallisé mes fantasmes – sans toutefois pouvoir totalement la rassurer quant à nos autres condisciples : du fait de son abord austère, T*** n’avait jamais été de ces filles dont on parle entre garçons, et les petits mâles de quinze ans sont si stupides dans leurs oukases quant aux physiques féminins…

Mon aveu ne déplut pas à T***. Nous nous revîmes et partageâmes une intimité compliquée : outre qu’elle voyait irrégulièrement un autre homme, T*** savait déjà, et m’apprit, que, sitôt ses études achevées, elle quitterait la France pour le Portugal, où je ne la suivrai pas. Pendant les quinze mois que dura notre liaison, je ne vis pas d’autre femme.

Je ne sais si c’était pour elle une manière de réhabiliter à ses propres yeux cette partie de son anatomie qu’elle avait longtemps considéré comme un handicap, toujours est-il que T*** me laissa honorer son cul avec toute la ferveur dont j’étais capable : des heures durant, je pouvais les effleurer, les caresser, les masser, les pétrir, les lécher, les claquer, y enfouir mon visage (et y sentir alors, dans sa sueur peu forte, des nuances délicieuses de feuilles mortes, de tabac séché, de café torréfié) et en pénétrer de ma langue l’orifice aux chairs plus fines et aux infinis replis.

Jamais cependant je n’eus l’audace de lui demander si elle accepterait que je la sodomise.

P.S. : Il va de soi que, comme dans tous les souvenirs que je livre ici, les traits biographiques susceptibles d’identifier T*** ont été modifiés ; de même, la photographie n’est pas celle de la personne dont il est question dans ces lignes.

4 commentaires:

  1. Un souvenir aussi délicieux que le précèdent...
    C'est un réel plaisir de vous lire Gabriel...
    Encoooore...

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. C'est une très jolie de façon de restaurer l'adolescence de T...J'espère qu'elle en garde un aussi joli souvenir que vous...Merci de m'avoir replongée dans les portraits de Fayoum qui me saisissent à chaque fois par leur modernité..et par l'âme qui se reflètent dans tous ces regards..

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  4. « Restaurer l’adolescence de T*** », c’est exactement cela : comme une justice à lui rendre (je ne suis pas sûr qu’elle ait été entièrement convaincue d’avoir été désirable quand elle avait quinze ans). Quant au souvenir qu’elle en garde, je ne peux qu’espérer qu’il soit aussi doux que le mien. C’était (c’est peut-être encore) une jeune femme qui gardait terriblement son for intérieur.

    Quant à ces portraits, oui : une modernité, qui vient justement de cette impression de présence à la fois immédiate et énigmatique, de cette « âme » en deçà ou au-delà de toute psychologie.

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