lundi 2 juillet 2012

Mythe I : Dibutadès


Joseph Wright (dit Wright of Derby), 1734-1797, The Corinthian Maid, 1784, huile sur toile, 106,3 x 130,8 cm, National Gallery of Art, Washington

Nuit d’insomnie.

Assis à mon bureau devant une feuille blanche, je me surprends à dessiner le contour de mon profil, ombre projetée par la petite lampe à ma droite. Une idée vague : ce geste me fait penser à un souvenir de lecture récent… Puis je me souviens : c’est le mythe grec des origines de la peinture.

La Barque silencieuse de Pascal Quignard (Seuil, 2009) :

« La fille d’un potier qui s’appelait Dibutadès vivait à Corinthe où elle aimait un jeune homme qui était extrêmement beau. Il dut partir à la guerre. Lors de la dernière nuit qu’ils passèrent ensemble elle ne l’étreignit pas. Elle ne l’embrassa même pas. Elle éleva dans sa main gauche une lampe à huile. Elle prit dans sa main droite une braise éteinte dans le brasero. Elle s’approcha de lui. Elle ne caressa pas le volume de son corps qui pourtant marquait son désir. Avec le morceau de charbon elle préféra délimiter le pourtour de son ombre sur la surface du mur qui se dressait derrière lui. »

Joseph-Benoît Suvée, 1743-1807, L’Invention de la peinture, 1791, huile sur toile, 267 x 131,5 cm, Bruges, Groeninge Museum

C’est au tournant des XVIIIe et XIXe siècles que le mythe de la fille de Dibutadès semble préoccuper les peintres. J.-B. Regnault en fait en 1785 le sujet d’une toile qu’on peut voir au château de Versailles : bizarrement, chez lui, la scène est diurne et en extérieur, à la Poussin. Plus fidèles à la dimension nocturne du mythe, le tableau de l’Anglais Wright of Derby en 1784 et celui du Flamand Suvée en 1791, dont les lignes néoclassiques semblent réchauffées par les derniers feux du caravagisme. Et c’est Füssli, autre néoclassique nocturne, qui, à Londres en 1801, consacre au mythe une conférence.

Comme si, la tension entre idéalisme néoclassique et réalisme caravagesque étant parvenue à son exténuation, il fallait revenir à cette scène primitive et nocturne (aussi bien, ce que raconte le mythe grec, c’est Lascaux, Altamira, la grotte Chauvet). Penser aussi au basculement du Zeitgeist : Wright of Derby, c’est le peintre des Lumières et de la Révolution industrielle (Expérience de la pompe à air, Philosophe faisant une leçon sur leplanétaire) ; Füssli, c’est le premier romantisme noir et onirique, les projections nocturnes de l’inconscient (Le Cauchemar) qui aboutiront, via Freud et Breton, à Balthus, à Delvaux.

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