samedi 30 juin 2012

Attaché




Dans mon rêve récurrent de la semaine dernière, je trouve au moins un point de contact avec ma sexualité « réelle » : avoir les mains attachées aux montants du lit. Ce n’est pas quelque chose que j’ai beaucoup pratiqué, ni un fantasme obsédant que je chercherais à tout prix à reproduire, mais une pratique à laquelle j’ai pris un réel plaisir chaque fois que je l’ai expérimentée.

De fait, chaque fois qu’une de mes partenaires m’a ainsi attaché, deux choses ont considérablement accru ma jouissance : d’une part, d’être privé de mouvement et donc livré au seul bon vouloir de ma partenaire – d’être, en somme, transformé en objet sexuel, soit un jeu subtil avec l’inversion du paradigme masculin actif/féminin passif ; d’autre part, étant réduit à l’inaction, le sentiment d’être dans le même temps placé dans un rôle de spectateur de ma propre sexualité – soit une complexification du paradigme acteur(s)/voyeur.

Autant je n’éprouve aucune attirance à l’égard du bondage, de la domination « purs » – dans la mesure où eux aussi sont des codes contraignants –, et moins encore à l’égard du SM (infliger ou recevoir douleur ou humiliation est fondamentalement étranger à mon érotique volontiers hédoniste), autant j’aime ces jeux, cette subversion vis-à-vis des codes sexuels.

jeudi 28 juin 2012

Eloge d’une peau mûre





Avant que je ne quitte la France, une femme m’a accordé l’inappréciable honneur de partager son intimité. Cette femme est mariée et se trouve être sensiblement plus âgée que moi. Je ne ferai pas ici (du moins pas cette nuit) l’éloge des femmes adultères. Je ferai l’éloge de sa peau et de son âge.

Outre son aspect stéréotypé, l’opinio communis quant aux femmes mûres, qui vante leur « savoir-faire », leur « expérience », leur « disponibilité », m’agace : on dirait que reconnaître leurs qualités d’amantes semble exclure qu’elles puissent, pour elles-mêmes, susciter le désir ; comme si, implicitement, le corps d’une femme de plus de quarante ans était toujours moins désirable que celui d’une jeune fille de dix-huit ans.

En ce qu’elle est généralisation abusive, cette doxa est déjà une absurdité : pour ne parler que de moi, j’ai toujours été (infiniment) plus attiré par une croupe aux formes pleines et bien cambrée chez une femme mûre que par des fesses plates chez une post-adolescente.

Mais cette idée reçue va aussi à l’encontre de certains de mes goûts sensuels les plus profonds. J’entends déjà le contre-argument des juvénophiles : certes, me diront-ils, une jeune fille de dix-huit ans peut être moins bien faite qu’une femme de plus de quarante ans, mais il y aurait l’incomparable fraîcheur, la douceur sans pareil, l’inégalable fermeté d’une peau jeune. C’est cet argument-là que je voudrais réfuter.

Tout d’abord, il peut y avoir, dans une peau mûre, un charme pour ceux qui sont sensibles à la beauté de l’automne, au bonheur du temps qui passe : pour ceux-ci, une ride, un amollissement de la chair, un léger desséchement de la peau, l’apparition de taches de son ne seront pas des signes de flétrissure, mais au contraire comme une patine émouvante et même un embellie glorieuse. (Comme, à l’opéra, le vieillissement d’une voix de soprano qui, dans le Chevalier à la rose, passe du rôle de Sophie à celui de la Maréchale.) Je suis de ceux-là, on l’aura deviné.

Mais ne sublimons pas outre mesure : je trouve aussi (et peut-être même surtout) une qualité sensuelle toute particulière à certaines peaux mûres. C’est que je suis – sur le plan visuel, sur le plan tactile – sensible aux textures et aux grains denses, complexes, riches, contrastés (et cela vaut aussi bien pour la peinture que pour la peau des femmes : j’ai instinctivement envie de toucher la matière d’un Rembrandt ou d’un Zao Wou-ki). Particularité sensuelle qui explique à l’évidence mon goût extrême (mon appétit immodéré, même) pour les peaux de certaines femmes mûres (comme sans doute cet autre, pour les peaux de certaines femmes noires).

Pour moi, ce qui est incomparable, ce n’est pas le lissé pâle – la fadeur, pour tout dire – des peaux jeunes : ce sont, par exemple, les sillons qui parcheminent en sécheresse le dessus d’une main tandis que la peau semble s’alourdir du poids de la chair sur les cuisses, les fesses ou les seins ; c’est la tavelure qui déploie sa granulation brune, rousse, fauve sur les épaules, les bras, le haut du décolleté tandis que sous la peau restée plus laiteuse des cuisses, des fesses et des seins ressort avec plus d’insistance le lacis bleuté des veines…

La femme admirable dont je parlais en commençant ces lignes m’a autorisé à photographier son corps. Ce sont ces photographies que je regarde cette nuit. Ce n'est pas l'une d'entre elles, bien sûr, qui illustre cet article, quoi que cen fût l’illustration idéale, mais cette photographie pornographique s’en rapproche au mieux (celle-là, je ne la retoucherai pas : je ne veux pas évoquer une image mentale, mais célébrer la matérialité d’une chair).

mardi 26 juin 2012

Musique de nuit I





Nuit d’insomnie.
J’écoute l’Adagio de la 10e Symphonie de Mahler par Boulez et l’Orchestre de Cleveland.



dimanche 24 juin 2012

Qui suis-je ?

Valerio Adami, Autoportrait, 1983, acrylique sur toile, 198 x 147 cm

Peut-être aurais-je dû commencer par dire « d’où je parle ».

Je suis un homme. J’aurai bientôt trente-huit ans. Je suis français, je vis seul, dans un pays du Moyen-Orient. Pas « libertin » dans le sens aujourd’hui courant (« clubs libertins », etc.), mais plutôt dans le sens d’une disponibilité, d’une franchise de ton et d’une curiosité à l’égard choses de l’éros. Par ailleurs amateur de musique, de littérature, d’arts – contemporains comme classiques.

Le moment présent de ma vie est assez particulier. Mette solitude ne me pèse pas, non plus, paradoxalement, que les contraintes d’un pays assez conservateur quant aux mœurs, et culturellement assez peu ouvert : cette expatriation est devenue pour moi l’occasion d’une sorte d’exploration de mes expériences passées et de mon univers intérieur, tant dans le domaine de l’éros que des centres d’intérêt que j’ai dits.

C’est la nuit qui est le moment privilégié de cette exploration. Nuits d’insomnies où je peux lire, écouter de la musique ; me remémorer ou lâcher la bride à mes fantasmes (café et cigarettes étant alors d’excellents adjuvants de mon hypermnésie ou de la construction d’images mentales). Nuits de sommeil où dans le rêve l’inconscient construit lui-même ses propres images mentales et redistribue les souvenirs.

C’est de ces nuits que ces pages formeront le livre.

Rêve I




Rêve érotique récurent, ces trois dernières nuits.

Je suis allongé sur le dos, nu, les mains attachées aux barres du lit. Dans la pénombre, s’approche une femme aux cheveux de geai immensément longs et incroyablement épais qui cachent toujours une moitié au moins de son visage. Elle s’agenouille sur le lit en écartant mes cuisses, baisse la tête en faisant retomber sa lourde chevelure sur mon torse et mon ventre et me suce ; au moment où je suis sur le point d’éclater, elle cesse de me sucer et enroule mon membre dans une torsade de ses cheveux, puis me branle jusqu’à ce que je jouisse.

Je vois mon sperme dessiner des filaments blancs et luisants dans la toison noire et opaque de sa chevelure : c’est la dernière image de mon rêve.

(Bien sûr, je me réveille aussitôt : j’ai joui dans mon sommeil.)
 
J’ignore d’où vient un tel rêve.

Baudelaire ? Mais la lecture de La chevelure ou d’Un hémisphère dans une chevelure ne m’a jamais inspiré de telles images : l’idée d’enfouir mon visage dans une chevelure, oui, mais non celle d’y jouir (en outre, si les « cheveux bleus », les « tresses lourdes et noires » correspondaient à la femme de mon rêve, celle du poème les avait plus lisses et plus luisants, à cause, sans doute, de « l’huile de coco »).

Un souvenir ? Aucune de celles qui ont daigné partager ma couche ne s’est donné à moi de la sorte ; aucune de celles que je n’ai pu fléchir en ma faveur ne m’en avait donné ne serait-ce que l’idée. Je crois d’ailleurs n’avoir jamais rencontré – et suis certain de n’avoir jamais désiré – une femme à la chevelure si longue et si dense que celle de mon rêve.

Une image pornographique ? Un adult model, Foxy Anya, semble s’être fait une spécialité de cette scène ; mais ce n’est qu’à présent que je découvre sur le net l’image de cette très belle femme (l’eussé-je découverte auparavant que ses ongles démesurément longs, et recourbés, m’auraient sans doute frappé – ne serait-ce que dans la mesure où ils m’inspirent un certain malaise).

Un symbole, donc, une construction de l’inconscient ? Mais quel sens lui donner alors ?