dimanche 15 juillet 2012

Mythe II : Judith



Giorgione, Judith, v. 1504, huile sur panneau, transféré sur toile, 144 x 68 cm, Saint-Pétersbourg, Musée de l’Hermitage

J’ai beau être un agnostique serein, je suis « de culture judéo-chrétienne » (protestante du côté de mon père, catholique du côté de ma mère) tout autant que de culture gréco-latine, et j’aime beaucoup lire la Bible – peut-être à cause d’une quasi-homonymie avec l’un de ses plus importants traducteurs en langue française. J’en relis souvent des passages, surtout les courts romans deutérocanoniques (Judith, Esther, Tobie).

Jan Massys, Judith, milieu du XVIe s., huile sur panneau, 115 x 80,5 cm, Anvers, Musée Royal des Beaux Arts

Ce qui m’a toujours enchanté dans ce texte (dans ces textes, en fait : né de processus complexes d’écriture, de compilation, de réinterprétation – processus en eux-mêmes fascinants) c’est cette dimension plurielle, contradictoire, polyphonique. C’est aussi cette galerie de figures mythiques ou littéraires, si porteurs des possibilités contradictoires de l’humain qu’ils en sont irréductibles à une lecture moralisante, mais en revanche toujours susceptibles d’être réactualisés – et notamment par le regard des peintres.

Le Caravage, Judith décapitant Holopherne, v. 1598, huile sur toile, 145 x 195 cm, Rome, Galleria Nazionale d’Arte Antica (Palais Barberini)

Parmi eux, Judith ; évidemment ce livre, relu cette nuit, m’enchante par sa dimension érotique. En se plaçant en deçà ou au-delà de l’interprétation psychanalytique facile (la castration), j’avoue être sensible au destin d’Holopherne, qui meurt la tête tranchée dans son sommeil par sa jeune maîtresse béthulienne après que celle-ci l’a enivré. Le cadre nocturne du récit, ce double thème du désir comme piège mortel et du récit comme relance du désir, le fait que Judith soit une jeune veuve (et non une vierge), le mâle guerrier enivré et fou de désir qui tombe sous les coups d’une femme – tout cela me parle au plus haut point.

Gustav Klimt, Judith et Holopherne, 1901, huile sur toile avec placage d’or, 84 x 42 cm, Vienne, Österreichische Galerie (Palais du Belvédère)

Comme j’aime aussi les variations des peintres sur ce thème, chacun lui apportant les éclairages d’un Zeitgeist qu’il cristallise ou la spécificité d’un style : l’érotisme pointu savant de la Renaissance tardive qu’on retrouve chez Jan Massys, via l’influence de l’école de Fontainebleau ; la Vienne de Freud qu’on retrouve dans la Judith somnambule ou cocaïnomane de Klimt ; le hiératisme aux teintes vénitiennes de Giorgione, le clair-obscur au réalisme violent du Caravage… Et bien d’autres encore.

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